Une Bovary américaine (12/05/2009)





Par ANTONIN MOERI





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Dans une nouvelle de John Cheever (1912-1982), celle qui raconte l’histoire doit être une vague connaissance de la protagoniste. Pourtant, elle connaît une foule de détails concernant la mère, l’enfance et la vie de Jill Madison. Elle n’intervient pas dans le récit, sinon à la toute fin quand elle écrit: “La dernière fois que j’eus de ses nouvelles, ce fut par l’intermédiaire de Georgie qui me téléphona un soir...”
Après avoir étudié la littérature française à l’université de Columbia, Jill dirige une agence de voyage, fait de la politique, écrit un essai sur Flaubert. Elle épouse Georgie Madison, petit cadre dans un chantier naval. Elle organise un voyage de groupe en Europe. À Venise, où son mari viendra la retrouver, elle arpentera les rues de façon éreintante, traînant son Georgie d’un monument l’autre, d’un musée l’autre.
Georgie nous est présenté comme un homme qui voue un amour passionné pour leur fils Bibber, qui pense que Thackeray est le nom d’une pâtisserie, qui prépare les cocktails, découpe le rôti, verse le vin, polit les meubles, astique les cuivres, les chenets et les fourchettes. Activités qui instillent le doute dans l’esprit de Jill: “Est-ce réellement un homme?” Doute qu’elle surmonte aussitôt en imaginant “le marin velu et ivre qui l’aurait obligée à frotter le sol à quatre pattes” et qu’elle aurait pu ou dû épouser. Avant d’accepter les caresses de son gentil mari, elle lui déclame en français un passage de Madame Bovary. Elle veut lui prouver qu’une femme intelligente peut aussi être séduisante (le mari va se coucher au salon et trouvera bientôt une autre femme à la sortie d’un magasin pour satisfaire ses pulsions).
Après la mort de Bibber, Georgie demande le divorce. Jill trouve du travail chez un éditeur de manuels scolaires. La narratrice nous apprend que Georgie ne s’est pas remarié, qu’il devait être soûl au moment du téléphone et qu’il voulait absolument déjeuner avec elle. Elle écrit tous les numéros de téléphone de Georgie sur un bout de papier qu’elle jettera aussitôt à la corbeille. Dans cette nouvelle, Jill n’est pas une simple rêveuse. C’est une femme entreprenante, énergique et talentueuse. Elle semble pourtant avoir un défaut: elle refuse de prendre en compte le réel (les nombreux soldats avec lesquels sa mère a couché, la femme de médecin avec laquelle couche son gentil mari). Défaut qu’elle partage avec Madame Bovary.
Cet hommage à Flaubert est un bijou. Courez l’acheter (2 euros)!

 



John Cheever: “Une Américaine instruite”, Folio


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