J'ai tellement envie... (21/04/2009)








Par Antonin MOERI



antonio_lobo_antunes[1].jpg



Je rencontre un problème avec les livres de Lobo Antunes. Ceux-ci m’ennuient et, à la fois, me fascinent. Il y a quelques années, j’ai décidé de lire plusieurs fois un de ses premiers romans. J’ai alors découvert un système extraordinairement efficace, une horloge habilement agencée, une remarquable machine narrative, comme dit mon ami écrivain. L’autre jour (c’était une fin d’après-midi éprouvante, ma mère ne répondait plus au téléphone, le temps traînait, comme moi d’ailleurs, qui me traînais du lit aux waters, du canapé à la table de travail, les rayons d’un timide soleil caressant mes bras et mon front), je décidai de m’y remettre. Cette fois, il s’agissait de chroniques que l’auteur portugais envoyait à un périodique pour arrondir ses fins de mois.
Imaginez une femme. Elle s’adresse virtuellement à son mari qui, au lieu de la regarder et de lui parler, lit le journal, roule des boulettes de pain, suit le match de foot à la télé, lui fait l’amour une fois par semaine, quand elle va s’endormir. Cette femme se demande pourquoi son banquier de mari a tellement changé, lui qui, onze ans plus tôt, s’approchait d’elle les doigts tremblants, remarquait ses boucles d’oreilles et sa nouvelle coiffure, courait avec elle au bord du fleuve, la comparait à une mouette, l’enlaçait si fort qu’elle ne pouvait presque plus respirer. Elle aimerait tellement retourner en sa compagnie au bord du fleuve, lui montrer son nouveau décolleté coquin et ses nouvelles chaussures. Elle voudrait qu’il abandonne son journal, ses stylos et ses boulettes de pain. Elle rêve d’entendre sa voix: ”J’ai tellement envie de t’embrasser”, car elle sait qu’elle sera heureuse le jour où il lui permettra de l’embrasser.
Si elle est persuadée qu’ils seront heureux, l’homme pense: ”Chacun croit ce qu’il veut”. Le lecteur préfère connaître les perceptions et les sensations de la femme. Il préfère les brusques scintillements d’or, les folles bluettes que distille celle qui s’appelait Clara et que son mari appelle désormais Clarinha. La situation de la femme piégée excite davantage notre curiosité que celle du banquier. Adopter le point de vue d’une femme est un beau défi. C’est celui du romancier. Mon ami écrivain m’a parlé d’un roman où Lobo Autunes ne fait parler que des femmes: épouses, maîtresses ou veuves de fonctionnaires et autres responsables sous la dictature de Salazar. Il faudra que je demande à mon ami écrivain le titre de ce roman. À moins que vous, cher lecteur progress... euh pardon, blogressiste...


Antonio Lobo Antunes: Livre de chroniques III, Coll.Points Seuil.

 

J'informe mes lectrices et lecteurs que je serai au Salon du Livre de Genève (stand des éditions Bernard Campiche) le vendredi 24 avril, entre 18 et 19 heures. Je me réjouis de vous rencontrer.

01:15 | Lien permanent | Commentaires (0)