La vie de Tchekhov (07/04/2009)



Par ANTONIN MOERI





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Lisant la bio de Tchekhov par Troyat, Raymond Carver est frappé par un détail: le docteur, qui a soigné l’écrivain russe pendant ses derniers jours, fait monter une bouteille de champagne dans la chambre de l’agonisant. Carver devine aussitôt qu’il tient là le germe d’une nouvelle. Pour la scène d’exposition, il évoque dans un flash back un dîner avec l’éditeur du nouvelliste russe, au cours duquel celui-ci a craché du sang en public pour la première fois. “Les trois roses jaunes” étant une des nouvelles de Carver qui m’a beaucoup touché, j’ai voulu savoir comment l’auteur américain avait travaillé et, par conséquent, me procurer la bio de Troyat. Or celle-ci n’est plus disponible dans le commerce. Heureusement, j’en ai trouvé une autre: celle de Virgil Tanase.
Le portrait que le metteur en scène roumain dresse de l’auteur de “La Mouette” est celui d’un homme dévoué, dont le premier souci fut de venir en aide aux autres, de soulager leur douleur. S’il s’est mis à écrire des récits, c’était pour divertir les lecteurs et, surtout, gagner de l’argent. On apprend, dans cette bio rédigée avec enthousiasme, que le petit-fils de serf est né dans un trou de province, qu’il fut moins doué que ses frères mais qu’il aimait se mettre en scène et qu’il savait ”jouer avec les nerfs des gens”.
Dans les turbulences politiques que traverse la Russie en cette fin de XIXe, les lecteurs attendent d’un écrivain qu’il s’attaque aux grands problèmes, qu’il parle de l’avenir du capitalisme, des dangers de l’alcoolisme, de l’éducation du peuple, de la société telle qu’elle devrait être, de l’engagement des artistes etc. A quoi le docteur Tchekhov répond: “L’écrivain doit se contenter de raconter la façon dont ses héros aiment, se marient et font des enfants”. Le grand roman russe qu’on attend de lui, il tentera bien de l’écrire. Mais il aura du mal à “relier les épisodes, à faire évoluer les personnages, à construire une intrigue cohérente”.
Comment se sortir de cette situation? Tchekhov est avant tout un homme de science. Ce ne sont pas des qualités d’invention qui le distinguent mais des qualités d’observation. “L’homme de lettres doit être aussi objectif qu’un chimiste, laisser de côté ses opinions personnelles”. C’est au théâtre, lieu magique qui l’enchante depuis l’enfance, qu’il trouvera le rayonnement dont il rêvait secrètement. Il laissera “parler les personnages, en essayant de donner, loyalement, sa chance à chacun”. Les réponses aux questions graves, que l’auteur veut éviter de donner parce qu’il n’a pas d’avis là-dessus, incomberont dorénavant aux personnages. En homme de terrain, Virgil Tanase n’oublie pas d’ajouter que les droits d’un auteur (dont les pièces sont jouées) sont autrement plus consistants que ceux d’un auteur de récits.

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