Dépannage et copinage (08/03/2009)

Par Pierre Béguin

 

Ce n’était qu’un petit encart en bas de page, comme un fait divers, à peine un chien écrasé. C’était juste avant Noël, au plus fort de la frénésie d’achats. Quand tout le monde a autre chose à faire, justement. A peine quelques lignes pour dire que Messieurs les ex dirigeants que je ne nommerai pas sont lavés de certaines accusations dans le scandale de la BCG. Qu’ils n’ont pas nui aux intérêts de la Banque, malgré des prêts à 0%. Certes, ce procès ne concernait pas encore le nœud du scandale, paraît-il. Mais il donne le ton: il ne fait aucun doute que le Justice genevoise a commencé à ouvrir son grand parapluie pour abriter ses ouailles politiques, tous bords confondus, et les protéger des intempéries dont ils sont responsables. Trois milliards envolés, et ni responsables ni coupables en vue! Ni même de commentaires! Circulez, rien à voir!

Et pourtant, il l’avait crié haut et fort, le Procureur Zapelli, avant son élection, qu’il allait mener à terme le procès des ex dirigeants de la BCG. Des années qu’il traînait, ce procès, et contre sa volonté, en plus! Ah! On allait voir ce qu’on allait voir! Non mais!

On a vu. Ou plutôt, on n’a rien vu. Un petit encart en bas de page, comme un fait divers, à peine un chien écrasé. Juste avant Noël, au plus fort de la frénésie consumériste. Coïncidence, bien entendu. Et je gage qu’au bout du compte on ne verra rien d’autres. Un petit encart en bas de page: la Tribune de Genève, fidèle à sa tendance paillasson approbateur de la politique genevoise, a parfaitement rempli son rôle. Heureusement que ses blogs en disent plus que ses colonnes! Un tout petit encart en bas de page, comme un vulgaire fait divers, pour débuter la grande lessive du scandale de la BCG. Le grand blanchissage prévisible de ses ex dirigeants et de son conseil d’administration avec ses politiciens de tous bords. Le tout sous la houlette intransigeante du procureur Zapelli, avec un Z comme (...) Avis à tous, à Genève, on lave gratuit et plus blanc! Pour autant que ce soit du lourd, évidemment (lire à ce propos Hold-up démocratique, de Serge Guertchakoff & François Membrez, Ed. du Tricorne, 2007, un livre curieusement ignoré des médias et, donc, passé inaperçu dans notre chère République).

Pas de doute, notre ville incline toujours un peu du côté de la République bananière. La raison d’Etat! Après le scandale des tours de Plan-les-Ouates à la fin des années 60, soldé par un suicide et une condamnation, justifiée certes mais qui avait aussi l’avantage de couvrir de hauts responsables politiques (et à l’époque – j’étais enfant – des noms circulaient unanimement sur toutes les bouches, même sur celles du parti politique concerné; ce fut d’ailleurs le début du déclin du parti radical), après le scandale Medenica et ses fausses factures au début des années 80, pour lequel quelques boucs émissaires de seconde zone, finalement blanchis, ont permis de couvrir l’incurie de la gestion hospitalière, deux conseillers d’Etat qui auraient pu être impliqués et, bien évidemment, de nombreux professeurs de l’hôpital fonctionnant dans des cliniques privées et touchant des honoraires jugés alors indécents, sans parler de médecins de l’hôpital n’ayant pas le titre de professeur et touchant néanmoins des honoraires privés (lire à ce sujet Le dossier Medenica,  de Bernard Robert Charrue, Ed. Pierre-Marcel Favre, 1986). L’affaire Medenica –  un médecin ni libéral, ni socialiste, ni même suisse – a d’ailleurs prouvé qu’à Genève on aime bien les étrangers, aussi parce qu’ils permettent, pour coupables qu’ils soient, de concentrer sur eux des torts que des notables genevois ne veulent pas endosser, comme l’a encore démontré récemment l’affaire du Servette FC.

Moi, j’ai maintenant l’intime conviction de gagner mon pari. Oui, j’avais parié avec mon père, dès le début du scandale de la BCG, qu’il n’y aurait aucun responsable, aucune sanction (je devrais dire aucun coupable car la Justice a inventé le verdict étrange «responsable mais non coupable»). Il ne voulait pas le croire, mon père. Il appartenait à cette génération qui avait encore une foi de charbonnier dans les Institutions. Je vais gagner mon pari, j’en suis sûr. Hélas, l’instruction dure depuis si longtemps qu’entre temps mon père est décédé. Au fond, j’aurai tout perdu, même l’honneur, comme les dizaines de milliers de contribuables et citoyens genevois dont on se sera moqués jusqu’au trognon. Pour parodier Max Planck – fondateur de la théorie des quanta –: le mensonge ne s’impose jamais entièrement par lui-même, mais ses adversaires finissent toujours par mourir (un axiome que j’ai voulu démontrer par l’exemple dans mon roman Joselito Carnaval). Et puis, après les 68 milliards de l’UBS, les 3 milliards de la BCG semblent de la roupille de sansonnet, on ne va pas chipoter pour si peu (encore que 3 milliards pour Genève uniquement donnent à peu près 68 milliards en moyenne suisse, c’est dire l’ampleur du scandale, à la hauteur des subprimes). Mais tout cela est si loin, les nouvelles générations ne sont même plus au courant, le temps de la prescription est venu, n’est-ce pas?

Zapelli, dépannage et copinage! disait un sketch de la dernière Revue. Au-delà de la satire, serait-ce de l’information? Faudra-t-il désormais assister à la Revue pour s’informer? Et se contenter de lire la Tribune pour les sports et pour se conformer aux directives des politiques?

La Tribune, dépannage et copinage? Au secours! Seraient-ils tous de mèche? Et ça ne va pas s’arranger. Lorsqu’Edipresse faisait main basse sur les quotidiens romands, on parlait déjà de dangereux monopole: maintenant qu’Edipresse est racheté par le Suisse allemand Tamedia, quel terme devrions-nous choisir…

 

«Quelque temps après, c’est moi qui avais appris à Charlie que le Quotidien de la ville ne paraîtrait plus.

Il en était resté sur le cul. 

-          Ils ont coulé ? Des grèves, une faillite?

-          Non, non, c’est à la suite de l’affaire des chiens. Pas un jour sans s’attaquer à cette mesure nationale. Ils allaient jusqu’à remettre en cause les résultats des scientifiques. Les lecteurs ne savaient plus ce qu’il fallait penser.

-          A trop jouer avec le feu…

-          Comme tu dis, le journal a fini par se faire interdire.

-          Mince alors, et pour le tiercé?

-          Ben mon vieux, faudra chercher tes tuyaux dans les Nouvelles brunes, il n’y a plus que celui-là. Il paraît que côté courses et sports, il tient la route.

Puisque les autres avaient passé les bornes, il fallait bien qu’il reste un canard dans la ville, on ne pouvait pas se passer d’informations tout de même.»  (Extrait de Matin brun de Franck Pavloff)

 

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