"Le fruit du péché" (03/02/2009)

Par Antonin Moeri

 






anton_TCHEKHOV_jpg.jpgC’est le titre d’une nouvelle que Tchékhov écrivit en 1887. Imaginez un directeur d’école du nom de Migouïev. Il a couché avec sa femme de chambre. Un bébé est né de cette union. La femme de chambre exerce un chantage: elle exige de l’argent, menace Migouïev de lui apporter le gosse et de porter l’affaire devant les tribunaux.
En rentrant de promenade, Migouïev s’assied sur le perron de sa maison. Il y découvre un bébé empaqueté. Que va dire sa femme si elle apprend le secret? Vite, il faut se débarrasser du paquet. Migouïev n’a pas le droit à l’erreur. Il ira le poser devant la villa d’un marchand. Il se dit que, là, le môme recevra une bonne éducation. Mais le petit pourrait tout aussi bien se retrouver aux Enfants trouvés. Ce serait la honte! Un enfant de directeur élevé sans affection, se mettant à boire, devenant savetier. L’esprit de Migouïev agite des questions sociales.
Sa conscience est tiraillée. Il se voit dans son salon en compagnie du gamin qui joue avec les glands de sa robe de chambre. Au moment de poser le bébé devant la villa du marchand, il fait un pas en arrière et décide d’élever lui-même le fruit du péché. Il révèle la vérité à sa femme. Craignant les représailles, il va se réfugier dehors. Son domestique lui apprend qu’une blanchisseuse, venue baiser avec lui, avait posé son bébé devant la maison, bébé que quelqu’un avait emporté. Fou de rage, Migouïev rentre dans sa maison et avoue à sa femme que c’était une plaisanterie.
Il n’y a guère de commentaires à faire lorsqu’on lit ce texte. Tout l’art de Tchékhov est là. Humour, ellipse, sens aigu de la narration et de la chute, cruauté, tendresse. Migouïev est un homme comme vous et moi. Et dans les moments de paranoïa où le système neuro-végétatif se détraque (halètements, sueurs, vertiges), la ressemblance entre Migouïev et le lecteur est encore plus frappante.

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