Travail, famille, patrie (23/09/2008)

nicolas-sarkozy-finance-prego.jpgPAR ANTONIN MOERI





C’est le contenu des opinions relatives à l’actuel président de la République française qui intéresse le philosophe Alain Badiou. Ce président frénétique qui clame sur tous les fronts sa modernité et dont le programme est : travail, famille, patrie, ce flic irritable et grossier qui fait feu de tout bois, « ce comptable bourré de tics et visiblement inculte », cet ancien maire de Neuilly qui sut habilement utiliser la rhétorique de la peur pour se hisser sur la plus haute marche de l’État.
Mais si l’agité de Neuilly se présente comme une caricature de Napoléon hyperactif, ce n’est pas tant le personnage qui plonge les Français doués de réflexion dans l’asthénie dépressive que la chose immonde dont le grimaçant comptable est le serviteur. Et cette chose immonde se résume en deux mots :  « Ce qui n’a pas de profitabilité n’a pas de raison d’être ». Pour que cette chose immonde s’institutionnalise, il faut que, dans les médias, les hôpitaux, les écoles, les universités, les entreprises, un nombre croissant de gens désorientés se fassent « les complices d’une gestion bureaucratisée pratiquant une ségrégation épouvantable ».
Or l’infatigable Sarko en appelle régulièrement (entre un séjour chez Kadhafi et une escapade sur un yacht de milliardaire) au redressement moral, au travail, à l’économie familiale et à la fierté nationale. Il cite les pays qui font mieux que la France, comme Pétain citait les bons étrangers (Allemagne, Italie, Espagne). Il stigmatise mai 68 comme le Maréchal stigmatisait le Front Populaire. Il prend des mesures énergiques : police, justice, contrôles, expulsions, lois scélérates, ce qui rappelle un autre moment délicat de l’histoire de France.
Les arguments et les comparaisons de Badiou sont convaincants, le ton qu’il adopte vif, clair et roboratif, mais il y a un terrain où il m’est difficile de le suivre. Il pense que la logique des classes sociales peut être surmontée et qu’une autre organisation collective est praticable. Je ne puis partager avec lui ce qu’il est convenu d’appeler une utopie. Quant à sa vision du sarkozysme, non seulement elle est pertinente, mais elle vaut le détour.



Alain Badiou : « De quoi Sarkozy est-il le nom ? »
Nouvelles éditions Lignes, 2007

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