Quand la démocratie vacille... (16/12/2007)
Par Pierre Béguin
Des élections en Suisse souvent me renvoient à un jour de juillet 1987 à Bogota. A cette époque, Fernando Botero, le fils aîné du célèbre peintre et sculpteur colombien, s’apprêtait à faire ses premiers pas en politique en briguant une place au législatif de la Mairie de Bogota. Son parcours électoral devait impérativement passer par la visite d’un certain nombre de tuburios – comme on appelle les bidonvilles en Colombie –, l’objectif étant, bien entendu, d’en accumuler le plus possible dans la même journée. Par l’intermédiaire de son beau-frère d’alors, un Suisse installé de longue date, et avec succès, dans la capitale, il nous invita, un ami et moi, à l’accompagner dans sa campagne en milieu très défavorisé. Peu au fait à ses débuts, semblait-il, des réalités sociales de son pays, il allait monter dans sa BMW lorsqu’un responsable du parti libéral lui fit comprendre clairement que ce véhicule était peu approprié aux électeurs qu’il se devait de rallier à son panache, non pas blanc mais néanmoins certain, il faut bien le reconnaître. C’est donc dans un cortège de Jeeps, flanqués d’une dizaine de gardes du corps et autant de fusils mitrailleurs que nous commençâmes la campagne électorale de Fernando Botero, sans très bien comprendre, par ailleurs, le rôle que nous étions censés y jouer.
Il nous apparut très vite que, derrière le discours politique stéréotypé, se tenaient en fait des tractations dignes d’un souk: le candidat libéral promettait généralement, en contrepartie des voix de tout le bidonville, un arrêt de bus et des canalisations. Mais promesses de politiciens sont promesses d’ivrognes, là-bas comme ici. Toujours déçus, les électeurs pauvres se méfient des beaux parleurs. Et c’est là, précisément, que nous entrions en scène. Fernando Botero donnait à notre présence, dans son discours, un caractère très officiel: nous étions deux émissaires de la démocratie helvétique, garantissant la parole et le sérieux du candidat que notre seule présence cautionnait. Ce qui valait à la délégation suisse, à chaque visite, un accueil fervent et empressé. Le problème fut que cet accueil s’accompagnait des inévitables libations à l’aguardiente comme test de virilité, libations que nous ne pouvions refuser sous peine de décrédibiliser notre candidat. Si bien que, dès le troisième bidonville, la démocratie suisse commença sérieusement à vaciller sur ses bases et à perdre de son prestige. La fin de la journée fut pathétique pour l’image de la Confédération et j’en demande humblement pardon à Micheline Calmy-Rey. Comme dit l’autre, ce ne fut pas Marignan, certes, mais ce ne fut pas Sempach. Dans tous les cas, je préfère vous en épargnez la description afin de ne pas heurter votre fibre patriotique.
Pour sa première tentative en politique, Fernando Botero ne fut pas élu au législatif de Bogota. Je ne sais si le vacillement de la démocratie suisse en fut une cause indirecte, si ses émissaires manquèrent à ce point de résistance et de virilité qu’ils rendirent leur candidat peu crédible. Mais je sais que, sitôt après cet épisode, Fernando Botero entreprit une ascension fulgurante qui devait le mener sept ans plus tard – et ce fut la dernière fois que je le vis – à la tête du Ministère des Armées (autant dire Premier Ministre en Colombie) avant de s’emmêler les pieds dans des affaires de corruptions avec les narcotrafiquants et de chuter encore plus rapidement. Depuis son premier essai manqué dans les bidonvilles de Bogota, il avait renoncé à se servir de la démocratie suisse comme caution. Ce fut peut-être là son erreur…
16:09 | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Voilà mon ami. Des petits remarques: ne sont pas - tuburios - ils sont - tugurios - et la photo que vous avez placé c'est la - catedral primada de Bogotá -, la mairie est juste devant celle-là, c'est - el palacio Liévano -
Merci.
Écrit par : Julian | 09/09/2014