Hergé antisémite? (25/11/2007)

Par Pierre Béguin

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Le politiquement correct renvoie logiquement Tintin au Congo au ban des livres racistes et son auteur à celui d’affreux colonialiste. Peut-être. Même si on pourrait opposer à cette accusation les caricatures de colons anglais. Après tout, Hergé est-il considéré comme raciste parce qu’il a dessiné des Japonais fourbes? Non. L’est-il pour avoir réduit Chicago à une ville de gangsters et représenté les Américains comme des affairistes sans scrupule? Non. L’est-il pour avoir limité sa vision de l’Amérique latine à des bandes de révolutionnaires sanguinaires et avinés? Non. L’est-il pour avoir dessiné d’affreux sorciers africains? Non. Encore que… En matière de racisme, l’égalité de traitement le cède aux préjugés, aux procès d’intention, aux culpabilités, bref à l’arbitraire.

Mais le plus déli1358121541.jpgcat reste les accusations d’antisémitisme dont Hergé fait l’objet. Si ses Japonais sont presque tous fourbes (ce qui n’a posé aucun problème), ses Américains presque tous affairistes (ce qui n’a posé aucun problème), ses Latino Américains presque tous révolutionnaires sanguinaires (ce qui n’a posé aucun problème), ses Africains presque tous affreux sorciers ou caricatures du genre «y a bon missié blanc» (ce qui pose problème), qu’en est-il de ses Juifs? Certes, les activistes de «l’Irgoun», dans L’Or noir, suscitent la sympathie, même si de mauvaises langues rétorqueront qu’il s’agit de Juifs voulant ressusciter un Etat juif dans le désert, loin de l’Europe, comme le souhaitaient précisément les anti-juifs. Pour le reste, il faut bien admettre, dans les éditions originales, qu’il est difficile de trouver un personnage juif décrit de manière positive. L’Etoile mystérieuse, imaginée en pleine occupation nazie, en est un exemple saisissant. Dès le début, Tintin, poursuivi par le prophète Philippulus, passe devant une bout593162908.jpgique sur la devanture de laquelle est inscrit le nom Levy. Deux caricatures de commerçants juifs, à l’image 2101607558.jpgde celui de L’Oreille cassée, nez crochu, bouche lippue, tiennent à peu près ce langage: «La fin du monde! Ce serait une bonne bedide avaire, Salomon! Che tois 50000 frs à mes vournisseurs… Gomme za che ne tefrais bas bayer». Mais le pire reste le banquier new-yorkais Blumenstein qui incarne le mal et la cupidité par opposition au bien et à la vertu incarnés par Tintin. Bien sûr, cédant aux pressions de Casterman, Hergé a fait disparaître les deux commerçants, modifié l’identité de l’expédition américaine par celle d’un état imaginaire, le Sao Rico (la consonance mixte brésilienne-hispanique serait-elle innocente?) et remplacé Blumenstein par un nom plus bruxellois: Bohlwinkel. Ironie du sort ou acte manqué? Un certain Bohlwinkel, d’origine juive, s’est plaint un jour auprès d’Hergé du fait qu’un personnage aussi peu scrupuleux puisse porter un nom aussi juif, comme si la souffrance d’un peuple décernait de facto un brevet de vertu à tous ses ressortissants.

Les évidences sont là, resten269422074.jpgt le délire et les procès d’intention. Qu’on ait pu associer, par exemple, cette étoile grossissante qui menace la planète à l’étoile de David, analogie chargée de sens en un temps où l’étoile jaune est obligatoire (symbole pour symbole, délire pour délire, les pattes recourbées de l'araignée pourraient tout aussi bien faire penser à la croix gammée). Comme on a associé cette même étoile de David à l’immense étoile jaune enserrant une chauve-souris, dans la peinture qui sert de décor à l’illusionniste de Les sept boules de cristal. Chauve-souris ou araignée (vue par Tintin dans le télescope et, plus tard, sur l’île), dans les deux cas, l’étoile est identifiée à une menace grandissante, répugnante ou rampante…

Evidemment, les atrocités et les camps de concentration ont passé par là. Et si l’on pouvait encore, avant la guerre, reléguer certaines caricatures ou plaisanteries douteuses contre les juifs au rang des âneries de mauvais goût, après la guerre, ces mêmes caricatures et ces mêmes plaisanteries deviennent des attitudes criminelles intolérables. C’est ainsi d’ailleurs qu’Hergé se justifia: «L’Etoile mystérieuse était fait bien sûr avant que l’on sache les atrocités nazies, et les camps de la mort, et tout ça; sinon, c’est certain, je n’aurais jamais écrit ça!» (Jacques Willequet, op cit., p. 53-54). Au fait, Hergé pourrait-il être considéré comme anti nazi pour avoir dessiné un avion Heinkel dans Le Sceptre d’Ottokar? C’est du moins ce qu’entendit, sous l’Occupation, un officier-censeur allemand qui le mit en demeure de ne pas recommencer… Encore heureux qu’il n’ait pas représenté les Grecs sous les traits de méchants armateurs!

Alors, Hergé, antisémite? Opportuniste? Victime des événements? Ou simplement caricaturiste?


 

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